Ce projet s’articule autour d’une série de cinq portraits que j’ai réalisés à la graphite à partir des photographies que j’ai reçues de chacun des individus figurant dans les portraits. Le développement de ce projet découle de mon implication dans une intervention artistique appelée “Maison.Rester.Etranger”, dirigée par l’artiste Barbara Manzetti, que j’ai rencontrée lors de mon stage à l’Initiative for Practices and Visions of Radical Care, dirigée par Nataša Petrešin-Bachelez et Elena Sorokina. Grâce à ma longue implication ou à ma proximité avec Maison.Rester.Etranger, j’ai appris à connaître personnellement les participants et à faire en quelque sorte partie d’eux. J’ai été particulièrement intéressé par les photographies que nous nous sommes montrées les uns aux autres au cours de nos nombreuses conversations. Ces photographies, prises au moment où une personne entame un nouveau chapitre de sa vie, constituent de puissants témoignages, affirmant la présence d’une personne à un moment où sa reconnaissance administrative par l’État est incertaine. J’ai constaté que les photographies de soi sont un élément important de la vie d’un immigrant. Les archives, les récits et la mémoire sont des éléments importants de l’identité des migrants. Dans son essai Traumatic Exit, Identity Narratives and the Ethics of Hospitality, Arjun Appadurai affirme que les revendications des immigrants à l’égard de l’hospitalité des nations dans lesquelles ils arrivent se situent toujours dans une zone grise entre l’hospitalité, le sanctuaire et l’incarcération, parce qu’ils se trouvent généralement dans une zone grise catégorielle qui combine les caractéristiques de l’étranger, de la victime, du criminel et du visiteur sans-papiers. De couleur grise, en partie réalistes et en partie sans grande clarté, les portraits expriment des corps ambigus, avec des incertitudes quant à leur présence et leur absence. Les dessins ont été posés horizontalement sur le sol et maintenus par de petits cailloux de rue sur les bords de chaque dessin. Cette façon de partager les dessins sur le sol, chacun figurant un corps de la tête aux pieds, renvoie à l’idée d’une perte permanente, de la mort d’un soi passé. Elle induit l’idée que la migration peut entraîner la “mort” de l’ancienne identité d’une personne qui s’adapte à de nouvelles normes culturelles et à de nouveaux modes de vie. Cependant, elle peut également entraîner une “renaissance” de l’identité lorsque les individus découvrent de nouveaux aspects d’eux-mêmes et développent de nouvelles connexions avec leur environnement. Les cailloux de la rue font référence aux souvenirs collectés au cours du voyage ; ils renvoient également à la tradition religieuse juive qui consiste à placer des pierres sur les tombes des personnes aimées, afin d’exprimer que la mémoire des vies individuelles continue d’être perpétuée.
Graphite sur papier
150 X 80 cm chaque